Article publié dans Linux Magazine 82, avril 2006.
Cette interview a été réalisée pendant OSCON Europe, le 18 octobre 2005, au NH Grand Hotel Krasnapolsky à Amsterdam. Allison Randal était la présidente de la Perl Foundation jusqu'à la veille de l'interview (Bill Odom ayant été élu à ce poste quelques jours auparavant). Elle travaille pour O'Reilly Media et fait partie de l'équipe de conception de Perl 6.
Entretien et traduction réalisés par Philippe Bruhat.
Qu'est que la Fondation Perl (Perl Foundation) ? Quel est son rôle ?
La Fondation Perl soutient le développement de Perl. Elle ne dirige pas le développement de Perl. Le développement de Perl a sa propre structure de direction. TPF (The Perl Foundation) fait des choses comme le soutien de conférences Perl, la publicité autour de Perl, le soutien de groupes d'utilisateurs et l'implication dans la communauté. Les Perl Mongers et Perl Monks font partie de TPF.
La Fondation Perl se charge aussi de maintenir les services de perl.org
:
listes de diffusion, serveurs web, dépôts de contrôle de version, etc.
Ainsi, quand nous avons besoin de fonds pour acheter du matériel neuf ou des choses
de ce genre, cela passe également par la Fondation Perl.
Et l'Institut Perl (Perl Institute) était différent ?
L'Institut Perl était une sorte de première tentative. Si on regarde en arrière, il y a eu un petit scandale financier, aussi l'Institut Perl a-t-il été complètement fermé. Nous avons fait trop confiance à quelqu'un qui ne méritait pas vraiment notre confiance.
Un peu plus tard, de façon complètement indépendante Yet Another Society (encore une autre association) a été lancée pour soutenir les conférences YAPC (Yet Another Perl Conference). Au fil du temps, Yet Another Society a pris comme autre nom The Perl Foundation, car les gens ne comprenaient pas vraiment d'après son nom ce que Yet Another Society était supposée faire.
Je me souviens vaguement qu'à une époque YAS est devenue la Fondation Perl...
Oui, c'était un changement de nom graduel...
Et maintenant tout le monde a oublié.
Légalement, c'est toujours YAS dans les documents officiels. Mais elle porte aussi légalement le nom commercial de The Perl Foundation.
Et où va-t-elle ? Vers... Perl 6 ?
Pas complètement. En fait, son rôle est de soutenir le développement de Perl dans tous les domaines, donc Perl 6 en fait partie. Mais une plus grande part de cela est pour le moment Perl 5, en réalité. Faire connaître Perl aux particuliers et aux entreprises, et s'assurer que Perl 5 reçoit les ajouts dont il a besoin et que la maintenance continue de fonctionner correctement. Ce sont tous des buts importants.
Et qu'en est-il du logo ? Personnellement, je l'ai vu comme une façon de devenir plus indépendant des contraintes légales liées à O'Reilly et du fait que partout où vous utilisez le chameau (NDLR : qui est un dromadaire) vous devez indiquer le fait que celui-ci est une marque déposée de O'Reilly. Y a-t-il autre chose ?
Hé bien, c'est un effet secondaire appréciable. Le point principal est qu'à cause du lien avec la marque déposée, il y a quelques endroits où nous ne pouvons vraiment pas du tout utiliser le chameau. Par exemple, si nous publiions une collection de documentation Perl ou quelque chose comme ça, nous ne pourrions vraiment pas utiliser le chameau dans ce contexte. Parce que c'est le contexte pour lequel O'Reilly le protège.
Aussi nous avons commencé simplement pour nous donner une autre possibilité dans quelques cas. Mais comme nous avançons, il semble avoir pris une vie propre. On l'a vu apparaître sur des T-shirts YAPC et des choses comme ça.
C'est un logo sympa, parce que l'oignon fait partie des présentations de Larry Wall depuis un moment (NDLR : les fameux State of the Onion), donc il fait déjà partie de la culture Perl.
Oui. Nous avons passé beaucoup de temps à chercher le bon logo. Nous avons essayé beaucoup de choses différentes. Au tout début, nous pensions « Pas un oignon, ça ne fait pas un très bon logo ». Nous avons cherché autre chose, mais nous revenions toujours à l'oignon, à cause de ce lien avec l'histoire de Perl. Puis nous avons trouvé un artiste qui a fait un oignon que nous aimions, alors nous sommes partis dessus.
Qui est l'auteur de l'oignon ?
Il s'appelle Devin Shane Muldoon (http://devinshane.com/). C'est un artiste de la région de San Francisco. Il a beaucoup de talent.
Tu es très impliquée dans le développement de Perl 6, tu fais partie de l'équipe de développement... Est-ce que tu peux nous donner des dates ?
Pour la livraison ? Non, c'est exprès. Cela fait un moment maintenant que nous n'avons intentionnellement pas de date. Pour commencer, c'est très décourageant de glisser sans cesse sur les dates. (rires) Mais aussi, Perl 5 fonctionne bien maintenant et il y a beaucoup de sociétés qui en dépendent ; il est donc important d'avoir tous les éléments en place avant d'annoncer Perl 6. Il est très important d'avoir une stratégie de migration propre, afin qu'il n'y ait pas de sociétés qui l'essayent et qui disent ensuite « Oh tant pis, il n'est pas prêt, il n'est pas stable. Laissez tomber, nous ne l'utiliserons jamais. ».
Il vaut mieux simplement continuer et les laisser utiliser Perl 5 aussi longtemps qu'elles en sont satisfaites, puis leur présenter un Perl 6 stable, vers lequel ils peuvent migrer et utiliser tout leur code Perl 5 dessus.
J'ai discuté précédemment de Pugs avec Damian Conway (cf. GNU/Linux Magazine 81, mars 2006). Et j'ai eu l'impression que, grâce à Pugs, Perl 6 sera en réalité Perl 6.1. Parce que la plupart des problèmes que les concepteurs n'auraient peut-être pas pu prévoir auront été vus, parce que les gens vont pouvoir bricoler avec Perl 6 avant qu'il soit effectivement sorti.
Oui. Pugs a vraiment été très bénéfique pour Perl 6 dans son ensemble. D'une part parce qu'il a permis de jouer avec la sémantique de Perl 6 et de travailler à l'implémenter, mais aussi parce qu'il y a des gens qui commencent à porter des modules dessus.
Avoir un CPAN qui marche pour Perl 6 quand on le livrera est très important pour tout le processus de migration. C'est vraiment crucial.
Est-ce que le CPAN de Perl 6 sera différent du CPAN de Perl 5 ?
Il sera très similaire. Tu verras des modules qui seront portés à
l'identique : un portage direct avec la même interface, le même
nom et tout. Tu verras aussi d'autres modules qui ne seront pas
portés du tout, car on n'en aura plus besoin. Je pense que beaucoup
des modules Class::
disparaitront en cours de route.
Et il y aura aussi de nouveaux modules, de nouvelles idées qui apparaissent, à cause de Perl 6.
Tous les filtres de source vont disparaître.
Oui. Ou ils pourraient bien arriver avec le même nom, mais au lieu d'être des filtres de source, ils seront implémentés comme des modifications de la grammaire.
Et est-ce qu'on aura un site web différent, ou bien est-ce que les modules Perl 6 seront mélangés aux modules Perl 5 ?
Nous avons beaucoup parlé de ça, en particulier avec Jarkko (NDT :
le Master Librarian du CPAN), et l'idée générale est de conserver
cpan.org
, mais peut-être d'ajouter quelque chose au bout, d'utiliser
cpan.org/perl6
ou quelque chose comme ça pour les modules Perl 6.
Et rendre le CPAN.pm
livré avec Perl 6 assez intelligent pour savoir
où aller. Le CPAN.pm
de Perl 5 n'est pas assez malin pour différencier
plusieurs dépôts (si on veut les appeler comme ça), mais le CPAN.pm
de Perl 6 sera assez malin pour cela.
Et comme Perl 6 devra être capable de faire tourner des modules Perl 5 et des modules Perl 6, il faudra être capable d'utiliser l'un ou l'autre et de différencier intelligemment les deux.
Hormis la transition, c'est important de supporter les modules Perl 5 ?
Ce n'est vraiment important que pour la transition. Mais si tu te rappelles du fait que, à certains endroits, les gens utilisent encore Perl 5.005_03 (NDT : la version de mars 1999), alors tu vois que la transition pourrait durer assez longtemps. Il pourrait donc être important d'être capable de faire marcher des modules Perl 5 pendant 5 ou 6 ans [après la publication de Perl 6].
En plus de faire partie de l'équipe de conception de Perl 6, d'être à la tête de la Perl Foundation, du moins jusqu'à hier...
jusqu'à hier, oui ! (rires)
... tu travailles également pour O'Reilly. Tu es chargée de l'édition de plusieurs livres.
Principalement des livres de Perl, mais également des livres sur PHP, Ruby et quelques livres sur la sécurité.
En quoi consiste ton travail ?
Chez O'Reilly, le travail d'un rédacteur (editor) couvre l'ensemble d'un projet du début à la fin. Ça commence donc par la recherche d'une idée, la recherche des auteurs, la sélection des auteurs, ensuite il faut travailler sur les manuscrits qui arrivent, superviser les relecteurs techniques de la communauté. Et enfin, réviser le livre qui entre en production, les pré-impressions et les épreuves, pour vérifier que le résultat est vraiment bon avant qu'il ne soit livré.
Qu'est-ce que tu attends de cet OSCON, en tant qu'employée d'O'Reilly, mais aussi en tant que membre de la communauté Perl ?
En tant qu'employée d'O'Reilly, c'est une bonne occasion de rassembler des personnes qui font des choses, de les faire se parler. Beaucoup de nouvelles idées évoluent à partir de conférences comme celle-ci. Pas nécessairement parce que quelque chose d'énorme a été inventé ici, mais plutôt parce que tu vas avoir deux personnes qui travaillent toutes deux sur des choses différentes, et d'un seul coup elles vont se rendre compte comment ces deux parties sont bien adaptées l'une à l'autre, et tu vas obtenir quelque chose de complètement nouveau.
Et tu penses que ça se passe plutôt dans les salles de conférences, dans les couloirs et les halls d'exhibition, ou pendant les BOF sessions ?
Les trois. Mais de manière différente à chaque fois.
Les sessions de conférence représentent une opportunité pour une personne d'entendre des détails au sujet de l'idée d'une autre personne. Et parfois cela donne des idées à la personne qui écoute et elle peut se dire « Oh, voilà l'autre moitié de ce qui me manquait » ou « Je n'avais jamais pensé à essayer ça ».
Les discussions de couloirs ou dans les halls d'exhibition sont extrèmement enrichissantes du point de vue des interactions entre les modes de pensée des participants.
Elles ont parfois pour origine les sessions elles-mêmes.
Oui, exactement. Et parfois il y a comme un effet de rétroaction. Au fur et à mesure de la conférence, tu verras des personnes dont la présentation aura été effectivement modifiée par les conversations qu'elles ont eu dans les couloirs hier.
Les BOF sont une espèce de croisement entre les deux, elles sont à la fois interactives comme les discussions de couloir, et elles représentent aussi une possibilité d'obtenir plus de détails, comme lors d'une présentation.
Et en tant que membre de la communauté Perl ?
Pour commencer, les conférences sont a peu près ma seule chance de voir mes amis ! (rires)
Il en faudrait plus !
Oui ! Plus ! Je vais passer tout mon temps à voyager !
Ceci dit, c'est la même chose, de nouvelles idées naissent. C'est
aussi une occasion pour la communauté de se mettre au courant de
ce qui se passe. Nous avons des sources d'informations, use.perl.org
et perlmonks.org
et ce genre de choses, mais il semble que les
conférences soient le moment où les gros échanges d'idées se font
dans la communauté.
En tant que membre de la communauté Perl moi même, j'avais un peu peur, bien que le but général soit que les gens se rencontrent et échangent des idées, que la bande des Perleurs reste dans son coin. Il y aurait des échanges d'idées, mais à l'intérieur de la commauté Perl. Peut-être que c'est de la fierté (hubris) : très peu d'échanges avec les autres groupes de gens. Je ne sais pas si c'est le cas.
Je me demande si la plupart des membres de la communauté Perl étaient en fait aux conférences Perl, même s'ils les avaient déjà vues ailleurs.
Oui, c'est difficile. C'est pas unique à notre communauté, car beaucoup de communautés tendent à se retrouver en groupes de gens qui se ressemblent. Mais quand même, il est à peu près inévitable d'avoir des échanges d'idées dans les couloirs et les exhibitions.
Les geeks sont un peu timides, aussi. Ils ne vont pas aller voir quelqu'un et lui dire « Bonjour, je ne te connais pas, qu'est-ce que tu fais ? ». Bien sûr, il y a les BOF sessions, qui sont une bonne manière de faire ça, car il n'y a pas de présentateur officiel et que les gens sont supposés parler entre eux. Mais sinon, je n'ai aucune idée de la façon dont ça se passe.
Peut-être que nous avons besoin de plus des choses comme le jeu Werewolf pour mélanger les communautés. (NDT : voir le compte-rendu d'OSCON Europe dans GLMF 78) « OK tout le monde, il nous faut dix villageois ! Une personne Perl, une personne Ruby, allez, asseyez-vous, et jouez à ce jeu ! » (rires)
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